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Problèmes de fonds dans les services de soins

Nombreux à s'être engouffrés dans ce segment de la santé (radiologie, biologie, cliniques vétérinaires…), les investisseurs traversent des difficultés pour atteindre leurs objectifs de rentabilité dans un marché M&A globalement moins actif que ces dernières années.

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La santé n’est plus l’eldorado espéré par les fonds. Mis en exergue par le Covid, ce secteur a capté la plus grosse part de leurs investissements en 2020 et 2021, en pesant respectivement 24 % et 23 % des montants investis par les membres de France Invest. Mais que ce soit chez les cliniques vétérinaires ou dans les services de soins, spécialement dans la radiologie, les contentieux autour de l’entrée des financiers au capital des sociétés libérales se sont accumulés. Si dans la santé animale ce frein est désormais levé, les fonds ne peuvent pas encore sabrer le champagne. « L’absence d’opérations d’envergure dans le segment des cliniques vétérinaires depuis plus d’un an est principalement liée à deux éléments : le réglementaire et le temps nécessaire pour que les plateformes de consolidation intègrent les acquisitions menées, témoigne François Rivalland, associé chez Natixis Partners. Sur le premier sujet, le cadre est désormais clarifié, mais sur le second, les acteurs ont encore du travail, même si les marges d’Ebitda remontent de façon pérenne et accréditent la thèse du buy-and-build pour ce secteur. »

Baisses des multiples de plusieurs tours

Emeric Lemarignier, Argos Vétérinaire

Emeric Lemarignier, Argos Vétérinaire

Sous l’impulsion des fonds et de leurs participations (Mon Véto, Univet, Qovetia, Sevetys, Fovéa, IVC Evidensia…) le secteur est passé en quelques années d’un taux de consolidation de moins de 5 % à quelque 23 %, selon le Syngev (l’association des groupes d’établissements vétérinaires). Cette bataille pour s’emparer des cliniques s’est traduite par une envolée des prix, avec des multiples qui sont passés à plus de 10 fois l’Ebitda pour les établissements au pic du marché, en 2021 et 2022, et plus de 15 X pour les plateformes. Entre le contexte réglementaire des dernières années et l’attention des groupes centrée sur leur croissance organique, les multiples se sont érodés. « C’est la fin du gold rush, avec des acheteurs qui essaient de payer les cliniques au maximum 8 fois l’Ebitda », confirme Émeric Lemarignier, président d’Argos et du Syngev. Ces baisses de valorisations touchent aussi les plateformes. « Des fonds ont pu décaler le lancement de processus de vente ces derniers mois face à la perspective de ne pas obtenir un prix suffisant, du fait de la baisse des multiples, alors que certains sont entrés sur des niveaux de valorisation très élevés, en 2021 et 2022 », juge un banquier d’affaires. D’autant qu’ils tablaient sur des perspectives de marge d’Ebitda, de l’ordre de 20 % pour les cliniques et 15 % pour les holdings animatrices de réseau. Le niveau de rentabilité ne serait pas – encore ? - au rendez-vous aujourd’hui. Les prix des actes sont fixés librement chez les vétérinaires, mais l’environnement macro-économique ne permet pas d’augmenter les tarifs de manière démesurée. En parallèle, les charges augmentent sur fond de tension en matière de recrutement. « Il y a un problème de pénurie de vétérinaires, car la France ne forme pas assez de professionnels avec seulement quatre écoles et des places limitées, explique Émeric Lemarignier. De nombreux professionnels se forment donc en Belgique, en Roumanie, en Espagne ou ailleurs en Europe. Ainsi 54 % des nouveaux vétérinaires inscrits au tableau de l’ordre sont formés à l’étranger. »

Phase d’écrémage du marché

Nicolas Saint-Pierre, Cambon Partners

Nicolas Saint-Pierre, Cambon Partners

Le cabinet Adma Expertise révélait que le niveau de marge d’EBE des cliniques s’établissait à 10 % sur l’exercice comptable 2022, selon des données agrégées par les professionnels du chiffre. « La digitalisation peut favoriser l’amélioration de la performance des cliniques et groupes vétérinaires. Cependant, il devrait y avoir malgré tout une rationalisation du parc, avec moins de tout petits établissements de proximité et plus de cliniques structurées et mieux dotées, comme sur la santé humaine », présage Émeric Lemarignier. L’évolution de l’offre de soins dans la santé animale, avec de plus en plus de chirurgie, d’imagerie et autres traitements de pointe rend les besoins d’investissements dans les équipements lourds plus importants, avec des plateaux de plus grande taille. Pour Nicolas Saint Pierre, associé de Cambon Partners, « la crise actuelle va permettre de faire le tri entre les bons et mauvais investissements, avec certains fonds qui ne vont pas atteindre les TRI espérés. S’est ouverte ces derniers mois une phase de rationalisation des portefeuilles et de mise en place des synergies afin de retrouver des niveaux de marge plus élevés. » Les fondamentaux du marché restent solides, avec un accroissement du nombre d’animaux de compagnie et un perfectionnement des soins. Des perspectives s’offrent aussi à l’international avec des marchés comme l’Allemagne ou l’Espagne qui restent à consolider. Le secteur devrait donc retrouver des couleurs, « La reprise du marché M&A dans les plateformes vétérinaires est potentiellement en 2025, estime l’associé de Natixis Partners. Mais il est probable que le gros des acteurs passe plutôt par des opérations de refinancement pour se donner du temps et continuer à créer de la valeur. »

D’importantes baisses des tarifs en biologie

François Rivalland, Audere Partners

François Rivalland, Audere Partners

La photographie est plus disparate dans la santé humaine, avec des services de soins qui traversent des dynamiques plurielles. La biologie médicale, l’un des premiers secteurs consolidés par les fonds, avec aujourd’hui six groupes (Cerballiance, Inovie, Biogroup, Synlab, Eurofins et Unilabs) qui concentrent 63 % de parts de marché. Cette thèse de build-up a délivré ses promesses pour les investisseurs. En repensant le modèle économique, avec des grands plateaux techniques centralisant les échantillons et analyses ils sont parvenus à faire grimper les marges d’EBE à 21 % en 2021, selon la commission des affaires sociales du Sénat. Mais ce niveau de rentabilité a attiré l’attention de l’Assurance Maladie, qui a imposé des baisses tarifaires ces dernières années. Celles-ci se chiffrent à 245 M€ sur la période 2014 – 2021 et près de 250 M€ de nouvelles baisses sont engagées à la suite des négociations de 2023, selon le rapport d’information Financiarisation de l’offre de soins : une OPA sur la Santé ? publié par les élus le 25 septembre. Leurs conclusions sont sans équivoque sur de futures coupes : « il apparaît légitime que le régulateur tienne compte, dans la fixation des tarifs applicables, des gains de productivité et des taux de marge observés chez les grands opérateurs ». Selon un observateur du secteur, des sources ministérielles viseraient même à ramener les niveaux de marge d’Ebitda entre 5 % et 10 % dans les secteurs de la santé où les tarifs sont régulés. « Dans la biologie médicale, les marges d’Ebitda sont actuellement autour de 15 % en moyenne, et elles sont souvent au-delà de 20 % pour la radiologie, qui pourrait être le prochain segment ciblé par les baisses tarifaires, considère François Rivalland. Des niches comme les centres de radiothérapie ou les soins à domicile attirent aussi de nombreux investisseurs, mais elles pourraient également faire face à une érosion des tarifs en lien avec la hausse des volumes. »

Des synergies « décevantes » en radiologie

En plus de ces coupes budgétaires, les groupes de services de soins n’offrent pas tous le même niveau de synergies. « Dans la radiologie, les investisseurs ont suivi une stratégie de consolidation similaire à celle de la biologie médicale, en se disant que le marché est fragmenté, qu’il y aurait de nombreuses synergies à le consolider et qu’un effet de taille permettrait d’avoir des groupes plus solides et mieux armés pour répondre aux besoins pressants des patients », évoque François Rivalland. Constituer des groupes par build-up permet d’atteindre une taille critique et éventuellement de gagner des autorisations pour les équipements matériels lourds (EML). Cette thèse peut cependant se heurter aux limites imposées par les Agence régionale de santé (ARS) et à la volonté de l’État de ne pas voir les dépenses s’envoler avec une démultiplication des scanners et IRM. De plus, « les cabinets d’imagerie ne sont pas délocalisables et l’exploitation des EML continuera de nécessiter de la place et des ressources humaines ce qui ne permet pas de réduire les coûts de façon importante, poursuit François Rivalland. Les synergies sont donc marginales, pourtant, les multiples se sont envolés au-delà des 15 fois l’Ebitda, alors que dans la biologie, ils sont restés autour de 11 à 12 x. » Certaines plateformes du secteur auraient ainsi traversé des turbulences, comme Oradianse. La participation d’Initiative & Finance a dû fermer plusieurs de ses centres d’imagerie à cause d’un manque de médecins et de difficultés financières.

Quel avenir pour les financiers dans ce secteur ?

Mais la radiologie n’est pas le seul pan de la santé où les investisseurs se heurtent à des complications. Après le scandale qui a éclaté en 2022 chez Orpéa, devenu Emeis, les Ephad n’ont plus le vent en poupe, idem pour les centres dentaires avec l’affaire Dentexia. « Le marché s’est arrêté net dans le dentaire », souligne Nicolas Saint Pierre. Par la suite, plusieurs acteurs ont souffert, comme Clinadent, évoluant dans le portefeuille de Qualium depuis 2021, qui a dû être récemment recapitalisé par son actionnaire afin de sortir d’une procédure de redressement judiciaire. « Il y a un risque réputationnel dans le secteur dentaire que les fonds ne veulent pas endosser car, on l’a vu avec les Ephad et crèches, il suffit d’un cas dans un établissement et cela peut avoir des répercussions très fortes aujourd’hui. C’est un problème car il y a un réel besoin qui s’amplifie alors que les finances publiques ne permettent pas à l’État de porter seul le sujet de la santé publique », poursuit l’associé de Cambon Partners. Les sénateurs s’interrogent aussi sur les moyens de concilier investissements privés et santé publique. Ils évoquent plusieurs pistes, comme « favoriser la constitution d’apports bancaires et l’accès à des modes de financements respectueux de l’indépendance professionnelle » ou encore « soutenir, en ville, l’émergence de modèles alternatifs de financement ». Mais aucune d’elles ne semble apporter une réponse tangible à cette question pourtant existentielle : qui va payer ?

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